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Contes de la Passe aux Bœufs et autres chroniques de l’île Madame : "Un pilote nommé Étienne."

Un jour, en faisant le tri de vieux papiers familiaux oubliés dans une boîte en fer blanc, je tombais sur cette citation consignée de la main du capitaine de vaisseau Le Mazurier dans le livret militaire de mon arrière-grand-père Étienne Bourron. À cette époque de sa vie il officiait en tant que pilote à bord du navire de transport Finistère.

Le Mazurier certifiait que « le pilote de la Flotte Bourron Étienne, embarqué sur ce bâtiment de Brest à Rochefort, s’était parfaitement acquitté de ses fonctions notamment dans les atterrissages de Rochefort où le navire avait dû rentrer dans la Charente par une brume tellement épaisse qu’elle masquait tous les alignements. Bourron a dirigé le navire en praticien consommé », écrivait-il dans son rapport qu’il signait « au mouillage de l’île d’Aix, le 7 août 1875 ».

_ Franchement, j’aurais eu mal de ne pas être capable de remonter ma Charente sans encombre ! racontait Étienne quelques temps plus tard lors d’une visite à son demi-frère Isidore Bourron, alors instituteur à Saint-Nazaire. Même les yeux fermés je la naviguerais !

Et ce n’était pas de la vantardise de sa part ! En effet, Étienne en connaissait toutes les sinuosités, ses lacets majestueux pénétrant dans les terres et les courants de son chenal dont il fallait se méfier. Faut dire qu’il connaissait un peu le coin ! Dès l’âge de 12 ans il avait débuté à la petite pêche en tant que mousse sur la chaloupe Vénus, appartenant au père Chevalier. Puis il passa au bornage et au cabotage sur les canots L’Africaine et Zéphyr avant d’être recruté à la Station de pilotes de Port-des-Barques en tant que novice sur des chaloupes remontant la Charente.

Le fleuve n’avait donc pas de secrets pour lui et profitant du flux et du reflux de la marée, il allait au large de l’île d’Aix guider les navires à travers les dangers de l’estuaire. Étienne apprit donc la manœuvre des voiles à bord des pilotines Jeune-Estelle, Jeune-Elizabeth et Jeune-Nancy par tous les temps et à toutes les heures. Après l’île d’Aix, sur la rive sud de l’estuaire, à tribord, se trouvaient l’île Madame et Port des Barques, en face Fouras et son fort Vauban puis la jetée du Port sud et le fort Lapointe dit fort Vasou.

Alors, lorsque ce 7 août 1875, bien des années plus tard et désormais Pilote de la Flotte de la Royale, il prit en charge le pilotage du Finistère, ce fut pour lui un jeu d’enfant, retrouvant le petit pilotin qu’il fut jadis, avec qui il faisait d’émouvantes retrouvailles. Étienne n’avait pas besoin de carte marine pour savoir que jusqu’à Rochefort, c’était maintenant un long serpent de mer d’une quinzaine de kilomètres sur cette Charente dont les flancs son faits de vases et de roseaux la bordant d’un lit couleur de café au lait. Si le brouillard empêchait de bien les distinguer aux alentours, il savait que tout du long paissaient des vaches dans les prés-salés et les marais, contournant les carcasses de vieux chalutiers de pêche croupissant dans les herbes et les vasières. Quelques hérons cendrés, perchés sur une patte au bord des berges, attendaient leur pitance de grenouilles et de petits poissons, alors qu’un vol de colverts paradait dans le ciel.

Un peu plus loin, sur les berges, juste après la Fontaine de Saint-Nazaire qui approvisionnait en eau les vaisseaux du roi, est niché le Fort Lupin fondé par Vauban, ceinturé d’un fossé en eau avec son pont-levis et ses échauguettes. Étienne pêchait l’anguille autrefois ici, un peu plus loin avec son père, dans une mare propriété de la famille dénommée Les ajoncs du fort où son grand-père découvrit un jour des ossements qui s’avérèrent être ceux de quelques prêtres réfractaires morts sur les pontons-prisons de la Révolution et oubliés ici, dormant depuis des lustres dans les vases des marais de Fort Lupin.

Une bien triste période de notre histoire ! pensait Étienne tandis que le Finistère longeait tranquillement le Canal du Grand-Écourt jusqu’à la hauteur de Soubise. Passées les Écluses des Cougnaux, après avoir laissé la Pointe de la Parpagnole à bâbord, il pilotait le navire dans un long virage à droite, contournant la Pointe sans Fin, royaume des ragondins, avancée d’eau dans les terres sur lesquelles, comme par magie, on a l’impression de voir les navires glisser à travers champs. Là il devinait avec un petit sourire le carrelet de pêche de son cousin Milou. En face s’ouvrait le canal de Charras, puis une ligne droite à longer l’Écluse des Roseau avec, à l’opposé, la Prée de la Pibale où s’adossait Rochefort. Ah ça, des pibales il s’en était régalé Étienne et pas qu’un peu, lorsqu’avec quelques autres jeunes pilotins, sur leur temps libre ils allaient pêcher la civelle. Une partie de la pêche était vendue à prix d’or et l’autre c’était pour leur bec ! Maman Esther les cuisinait à la mode du Pays basque et tout le monde se régalait !

A la hauteur de Soubise, la cale du bac permettait la traversée du fleuve, ce bac qu’il avait pris bien souvent en allant de Port-des-Barques à Rochefort, bien avant que Ferdinand Arnodin construise le transbordeur. Enfin ce fut une grande boucle jusqu’aux marais de Martrou et un dernier virage bâbord laissa entrevoir à l’équipage du Finistère l’Arsenal et son moulin à dévaser signalant l’entrée de la ville de Colbert.

 

Bientôt les matelots arrimèrent le navire, racontant aux marins de faction que sans leur expérimenté pilote à la barre ils n’auraient jamais pu gagner le port de Rochefort en temps et heure et qu’à cause du brouillard immense ils n’avaient rien vu du trajet fluvial. Étienne souriait dans sa barbe, imaginant sa Charente comme une femme gracile, longue et élégante, alanguie sur un rivage de la côte. Neptune aurait-il eu l’inspiration de transformer son fleuve en sirène…?

 

FO.GE.FOR n’existait pas encore !  Souvenirs, Jean Louis Doucet.

 

C’était en 1960,  il y avait un an que j’étais marié et la tante de mon épouse m’avait demandé de me joindre à mon beau frère, Michel Cazaux qui venait à la suite du décès de son père, Maître Cazaux, notaire à Labouheyre de quitter son poste au service financier chez TOTAL et de rentrer  aux Papeteries de Gascogne ou après avoir été Secrétaire administratif il a terminé comme Directeur Financier.

Notre mission était de faire une visite à Monsieur Lahary, « marchand de bois » à Ychoux pour savoir si la parcelle que lui proposait en coupe rase Mademoiselle Cazaux l’intéressait.

 Nous étions attendu et nous avons été avalés par deux fauteuils de cuir, éclairés depuis le bureau de notre hôte, nous l’entendions très bien sans vraiment  le voir.

Après nous avoir dit qu’il avait fait visiter la parcelle  par son  métreur, il nous énuméra tous les défauts constatés par son homme de confiance, il y avait des fourchus, plusieurs tordus,  des épaulettes de gendarmes à  un nombre étonnant de pins.

Je faisais mes classes et je me dis, j’irai visiter cette pièce pour savoir ce qu’il faut en penser. Michel d’un mouvement de main me  dit de ne rien dire.

Je crois finalement que le marché fut conclu.

Et Monsieur Lahary envoya une caisse de « Chasse- Spleen » à mademoiselle Cazaux.

Je demandais à  notre tante ce que cela voulait dire.

Elle me dit que ce Monsieur était propriétaire de ce cru de Moulis (ou actionnaire je ne sais plus) et que lorsqu’un marché était conclu dans les normes il adressait une caisse de vin et Elle nous avoua qu’une fois elle en avait reçu deux. Etonné je lui demandais pourquoi, elle répondit en éclatant de rire : «  c’est pour vous confirmer   qu’il vous a  b . . . .  »

Je n’ai  hélas jamais  eu l’occasion de traiter ensuite  avec ce gentilhomme, mais j’ai  toujours bu du Chasse Spleen avec plaisir. Combien de pins vaut une caisse  de vin ? Cela dépend du cru et du marchand.

 

Des grumes et des billes de bois ! Dieu sait si j’en ai transporté, d’énormes makorés et fromagers,

ces derniers à transporter en pontée sinon ils arrivaient moisis en Europe, les Sipos les Okoumés

Les magnifiques Bubingas et Aboudikrou, les Padouks et les Azobés et les Irokos  livrés sur chalands ou entre deux flotteurs à cause de leur densité !

Cette photo de l’abattage d’un Makoré me fut  donnée par un ami à Abidjan en 1960, j’étais second capitaine sur un  « Liberty ship » Cette première bille pesait entre quarante et cinquante tonnes, tout un art de l’embarquer et de la saisir en pontée car elle ne rentrait pas dans les cales. On mettait en cale les billes jusqu’à 15 tonnes car il fallait installer des rappels pour les glisser dans les ailes. On avait 8000 tonnes de grumes en cale et 1800 tonnes sur le pont plus 200 tonnes de  noix de Kola entre  Abidjan et Dakar et le Liberty remontait doucement vers l’Europe.

L’absence de tronçonneuses  me rappelle qu’en 1840 à l’inventaire du matériel de mon trisaïeul Pierre Ipoustéguy, Maître Charbonnier  il y avait  68 haches (et deux scies pour le jambon !)

Pendant ce temps notre métayer à Liposthey débardait des petites billes avec les deux vaches tirantes : Marti et Chouanne, elles travaillaient quatre heures le matin et se reposaient l’après midi.

En 1970 j’étais agent maritime à Libreville (Gabon) On commençait à exporter des débités, des placages mais il y avait encore quelques « Grumiers ». Maintenant c’est l’exception et en 1984  j’ai terminé ma carriere en commandant un Porte Container. On en a construit d’énormes et il y en a 270 en attente à  rouiller sur   rades , car on a vu trop grand.

 

 

1 Premier embarquement

Claudy Raymond, quand il avait 15 ans, regardait avec envie ses copains marins-pêcheurs : ils gagnaient déjà leur vie et lui n’avait rien en poche. Il commence à travailler  sur le Colibri, un petit côtier qui pêchait à la journée. En 1963, il va à l’école des Mousses pendant 9 mois. C’était dans les bâtiments en bois de Port-Neuf à la Rochelle. Sa famille n’était pas du  métier, son père était chauffeur routier : c’était plus difficile  pour lui de se trouver un embarquement.  C’est sur  l’ Unda (Armement Horassius) qu’ il montera avec son équipement tout neuf acheté « Au Moussaillon », quai Maubec  à La Rochelle : panier,  bottes et ciré. S’il se souvient de son bosco auprès de qui il a commencé à apprendre le métier : remplissage des aiguilles, montage des pièces du chalut etc, Il se souvient aussi du mal de mer qui ne l’a pas quitté pour cette première marée et qui ne l’a pas dispensé du travail du bord…8 jours sans manger, 8 jours à vomir et à continuer comme si de rien n’était…Heureusement, cela ne durera pas et après deux embarquements, il n’a plus jamais eu le mal de mer.

Tempête et avaries sur l’Angoumois en Nord-Irlande.

Un récit de Frank Morin

 

C’était en décembre 82, j’étais mousse sur l’Angoumois. Le patron s’appelait Yannick ….. Nous avons eu une panne de barre. Le vent soufflait à 10-11 beauforts et il y avait 10 à 15 mètres de creux.  Nous étions en perdition, nous marchions sur les cloisons. Bien sûr, nous étions « à la cape », « à la chaule ». Le patron maintenait l’étrave face à la vague ou tout au moins s’efforçait de maintenir cette position ce qui n’était pas évident. Nous étions en avant-lente-demi et toujours à la barre, très attentif. Lorsqu’une vague plus grosse que les autres arrivait, il fallait ralentir encore et la négocier. Souventes fois, c’était la deuxième ou troisième vague qui était la plus méchante et qui déferlait. Souvent, cela arrivait que les carreaux explosent sous le choc. Nous avons appelé Claudy Raymond, qui était patron sur l’Antioche IV, un navire de la SARMA, notre armement.  Heureusement, il était dans la zone. Il a mis le cul de son bateau devant l’étrave, on a réussi à récupérer ses funes et il nous a commencés à nous remorquer. Tout à coup une fune a cédé…Nous avons prié pour que l’autre tienne le coup. Nous étions au Nord-Irlande.  Nous n’avons pas pu nous arrêter à Belfast qui était en pleine guerre. Nous sommes donc allés jusqu’à Dublin. Claudy Raymond nous a négocié un accostage nickel ! Le soir, les deux équipages ont fêté l’aventure qui se terminait bien. Quant à nous, nous sommes restés une semaine à Dublin pour réparer et  sommes repartis pour 15 jours de pêche !

Un récit de Roger Barbotin

J’étais patron du Saint-Marc, le porteur à déblais qui accompagnait la drague à vapeur TD6. Ce porteur ainsi que son sistership, le Bout blanc recevait les matériaux qui étaient extraits par la drague. Cette vase était ensuite libérée par des portes à clapets qui s’ouvraient sous le navire. Nous transportions environ 520 tonnes par voyage. Le Saint-Marc mesurait plus de 42m de longueur et près de 10m de large. Nous étions 6 à bord, un patron, un second, 2 mécaniciens et 2 matelots. On travaillait selon les marées. La drague sortait du fond de la vase, bien sûr, mais aussi toutes sortes de choses : des mines, des grenades, des bombes, des voitures, des camions, des motos …Il nous fallait sortir tout ça, dégager le long des quais des souilles de façon à enlever tout ce qui était dangereux. Il nous est même arrivé de sortir des wagons, des poutrelles de fer qui étaient d’un poids impressionnant !

Nous avons repêché l’ancre d’un navire qui était venu au môle d’escale du port de commerce de La Pallice et qui avait dû appareiller en catastrophe. Il avait perdu son ancre, une ancre qui faisait plus de 10 tonnes et qu’il a fallu embarquer sur le Saint-Marc et qui a été soulevée et déposée avec une grue sur les quais.

2 Garçon de carré dans la tempête

C’est à cette fonction que j’ai navigué sur le France 1. J’ai fait trois points sur la frégate, le point A, le point  J et le point K. Le plus mouvementé fut sûrement le Point K. Nous avons eu 18 mètres de creux et 200 kms heure de vent pendant 27 jours, des coups de gite de plus de 30°jusqu’à avoir une fois 43° je me demande encore aujourd’hui comment on s’est redressé, car à la passerelle, on ne devait pas rigoler pour tenir la barre. Mais bon ... On n’y pensait pas, on marchait plus sur les cloisons que sur le sol des coursives.  Nos chaussures laissaient des marques jusque 50cm au dessus du parquet ! Inutile de nettoyer …le lendemain il y en avait autant ! Donc, on attendait La Pallice pour tout remettre en état. Pour servir à table, pas de problèmes. Par temps calme, je marchais sur le parquet en lino. Celui-ci était un vrai miroir tellement on le faisait briller. Cela nous aidait quand il y avait du mauvais temps ! Ca vous intrigue ? Je vais vous expliquer !  Quand il y avait de la gîte et du tangage,  je me mettais sur le pas de la porte du carré avec mes plats. Le gars qui voulait remplir son assiette m’attrapait par la ceinture, je me bloquais entre deux chaises et  je le servais.  Je passais au suivant de la même manière, et je faisais de même avec  les gars qui étaient dans le sens du tangage, je passais d’une table à l’autre, en glissant d’un bout à l’autre du carré. Et c’était comme ça si souvent  que cela ne nous frappait pas plus que ça !

Claude Gueguen, patron à 18 ans

Ma famille est bretonne. Mon grand-père était des environs de Morlaix, à Henvic  exactement. Mon père a été marin sur les Terre-neuvas qui partaient de Bordeaux.  Nous habitions rue du Duc à La Rochelle. Je voulais être marin et j’ai fait l’Ecole des Mousses à 14 ans. J’ai embarqué  pour ma première marée sur le Marie-Thérèse II (armement ARPV) en 1939.  Je me souviens du nom du patron : François Jacq et du Bosco, Lhostis. Je me souviens aussi que j’ai été malade comme un chien pendant 4 jours ! Pendant la guerre,  des bateaux boulonnais étaient réfugiés à la Rochelle. Je me  souviens  que le travail était organisé afin que tous les pêcheurs aient du travail. Les marins effectuaient alors deux marées puis restaient à terre les deux marées suivantes.  J’ai  profité de ce temps à terre pour suivre les cours et passer mes brevets. J’ai obtenu  mon « patron de pêche » le 11 mai 1943 à 18 ans ! Je commanderai  pour la première fois en 1948 pour un remplacement sur l’Othello (Armement Lebon). Puis, j’embarque sur  le  Jean-Pierre (armement Marzin) et j’y resterai près de 10 ans. C’était un bon bateau construit en Belgique en dédommagement de guerre. A cette époque, nous pêchions jusqu’à Bishop au sud-ouest de l’Angleterre, il y avait du poisson partout.